Après l’enchaînement des catastrophes naturelles et « technologiques » de 2011 au Japon un plaidoyer pour le catastrophisme, au nom du principe de prévention : un changement d’attitude salutaire chez le géographe ?
Ou quand l’expertise en direction des décideurs doit nécessairement passer par la pédagogie de l’outrance…
« Le risque zéro n’existe pas », « Si on écoutait certaines critiques on en serait encore à s’éclairer à la bougie » et autre « Il n’existe pas de déterminisme (environnemental) absolu pour ce qui concerne nos sociétés » : autant de formules à l’emporte-pièce que se doit d’emprunter le discours du décideur, du faiseur d’opinion et leurs relais ou encore des experts de tout poil, en charge ceux-là d’éclairer – au nucléaire ? – les premiers…
Difficile sans doute de raison garder après l’émotion suscitée par le cataclysme du 11 mars 2011 au Japon, séisme de violence exceptionnelle suivi d’un tsunami, entraînant des catastrophes techniques peut être d’une ampleur inégalée, même après Tchernobyle, avec le déconfinement, la dispersion à tous les vents au sens littéral, du matériel radioactif de plusieurs réacteurs nucléaires civils. En attendant peut être une catastrophe économique régionale, voire mondiale (1ère partie, L’effet domino multiscalaire).
Comment au pays de la connaissance – voir la place du Japon au classement mondial pour le nombre de brevets, d’articles scientifiques ou encore l’importance du secteur des techniques avancées – et au vu du donné de la géographie - physique pour sa forte sismicité, son insularité, humaine pour les gigantesques concentrations urbaines littorales – a-t-on pu en arriver là ? Il semblerait presque que la contestation environnementaliste soit moins virulente dans cette vraie démocratie qu’en Chine, où il est vrai la décision du « petit timonier » de transformer son pays en « atelier du monde » n’a pas été sans chambarder les milieux géographiques… Comment s’est on à ce point accommodé du risque (2de partie, Risque zéro et coût du risque epsilon ) ?
Sans doute la « culture du risque assumé » de populations exposées, et l’individu philosophe, conscient de la fragilité de toute chose, stoïque, discipliné et ne pensant jamais à contester la décision de « ceux qui savent » peuvent satisfaire notre imaginaire d’Européen faisant une lecture inverse des Lettres Persanes ? C’est ce que semblent laisser croire les « observateurs » du moment ; mais comment imaginer qu’une contestation ne perce pas désormais ? Ce qui nous renvoit à toutes nos sociétés – encore ? – démocratiques, aux mécanismes qui devraient être au service de l’opinion et pas seulement comme « aide à la décision » de quelques uns (dernière partie, L’opinion le nouvel expert ? ) et, pour ce qui nous concerne plus précisément, au discours du géographe, de l’aménageur, qui se doivent désormais de prendre leurs distances relativement aux paradigmes faissant la part belle à l’adaptabilité des sociétés– discours souvent techniciste – et l’absence de déterminisme physique.
1) L’effet domino multiscalaire, à ampleur spatio temporelle encore incertaine, un exemple inédit dont on n’ose imaginer la version la plus grave, analyse faite 5 jours après l’évènement !
Même dans l’imprécision, l’imprévisibilité voire la confusion actuelle, qu’on me permette de jouer les Cassandre : le pire est devant nous, et je ne serai pas fâché d’être démenti, ridiculisé dans le futur proche ! (Voir :http://www.fichier-pdf.fr/2011/03/16/previ-mto-japon-p-230311/previ-mto-japon-p-230311.pdf ) Va-t-on voir surgir une crise sociétale majeure à l’échelle régionale voire mondiale à l’issu d’un effet domino irrépressible ? Retour au 11 mars 2011.
Le différentiel de vulnérabilité amoindri en cas de cataclysme ? Un « Etat du nord » lourdement frappé, en vies humaines comme en dégats matériels
Ce jour-là un séisme exceptionnel en magnitude se produit dans une fosse sous marine à l’intersection de deux plaques – là où ne le pévoyait pas – au large du nord est du Japon, suivi d’un tsunami balayant la côte nord est de l’île principale de l’archipel ; s’ensuivent des destructions massives de l’habitat, des infrastructures et d’installations industrielles dangereuses. Le bilan en vies humaines et dégâts matériels n’est toujours pas chiffrable à J+5 – sûrement supérieur à 10000 morts – mais le niveau de développement technique et économique ayant permis une généralisation des constructions para sismiques a sans doute éviter le pire, et face à un aléa de cette ampleur un tel phénomène aurait eu probablement des effets démultipliés dans un Etat émergent.
L’effet domino
Ce sont les destructions des installations industrielles dangereuses, en particulier nucléaires, qui ont constitué le premier effet secondaire du cataclysme, de naturelle la catastrophe devient « technologique », les systèmes de contrôle et de fonctionnement des centrales électriques ayant été détruits, leur rétablissement impossible, la température de leur cœur devenant incontrôlable les matériaux radioactifs ne peuvent être contenus dans les enceintes successives de confinement et se répandent à l’air libre, au point d’empêcher toute intervention humaine à proximité. L’irréversibilté de la situation est-elle acquise, qu’elle sera la situation à J+12 ?
L’effet domino multiscalaire
Les prévisions météorologiques donnent à cette date un anticyclone mal placé, c'est-à-dire exposant l’archipel sur sa bordure orientale à un flux de nord-nord est, donc entraînant les radionucléides vers les mégapoles du sud de l’île Honshu : comment imaginer le déplacement des trente millions de Tokyoïtes, voire les habitants de la région d’Osaka, puis la décontamination des milieux, la réinstallation des populations ? Ce serait alors une grosse moitié de l’économie nationale neutralisée, une production de composants de hautes technicités stoppée, l’assemblage chinois grippé, les consommateurs « solvables » en situation de quasi pénurie des biens de consommation durable : dernier effet domino une crise économique d’ampleur plus grande encore que l’envolée des cours du pétrole après la guerre du Kippour de 1973 ?… Après les premiers dégâts et ceux redoutés la question brûle les lèvres : pouvait-on prévoir, comment avait-on analysé les risques ?
2) Risque zéro et coût du risque epsilon : le prix de la volonté politique éclairée par des experts courageux ?
Comment a-ton pu en arriver là, malgré l’accumulation de connaissances géophysiques et de savoirs faire techniques, de compétences diverses ? Une arrogance technicienne – la France est bien pourvue en la matière… –, une opacité de la décision – idem – ou, difficile à écarter au vu de l’idéologie bien partagée dans la zone OCDE, une évaluation comptable de choix trop « prudents », trop chers ? Chez nous le rapport Viney Kourilsky de 1999 – rapport sur le principe de précaution – laissait une bonne place à l’impossibilité de l’atteinte du risque zéro – sauf à ressources infinies, bien sûr absurde économiquement – également du « principe de proportionnalité » pévoyant des mesures qui soient strictement nécessaires, mais ici c’est plutôt de « principe de prévention » qu’il faut parler dès l’instant où le risque, sismique, est certain, seule la réalisation de l’aléa ne pouvant être prévue dans le temps. Et peut on assimiler un évènement centenal, pluricentenal, comme les crues ou les phénomènes météo de virulence exceptionnelle, les séismes… à un risque epsilon, à une époque ou toute gestion « moderne » ne conçoit qu’à court terme ?
Une expertise devant prouver son indépendance et renouer avec l’éthique du « long termisme », le nouvel ordre des experts comptables du long terme où l’on doit faire rentrer le géographe et les chercheurs en sciences sociales en compagnie des écologues et autres spécialistes en sciences de la terre ?
Nous ne pouvons nous permettre en France de donner des leçons au monde entier en matière de prévention d’industrie nucléaire. Certes mais à notre actif – aiguillonnés par le droit européen, mais aussi en situation de l’influencer favorablement du point de vue environnemental – nous avons à notre actif un droit de l’environnement ancien, qui a dès 1983 – loi Bouchardeau – à prévu l’obligation de l’étude d’impact pour les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) puis plus tard pour les plans et programmes, par exemple les documents d’aménagement, d’urbanisme, par exemple les SCoT, et, malgré une faible participation du public, la fameuse enquête publique… Et à ce niveau je ne peut comprendre l’inertie de l’expert, du géographe par exemple, à supposer qu’il soit consulté, ou qu’il soit sensibilisé aux problématiques environnementales et « s’invite au débat public » !
Agricarburants, réchauffement climatique anthropique, OGM, « tout bagnole » et autres aménagements loufoques : un nouveau discours engagé du géographe ?
Quant on sait, quand de surcroît on a acquis des capacités pédagogiques, pourquoi se priver du plaisir de dénoncer les équipements autoroutiers, la énième rocade urbaine, la tergiversation des élus conservateurs dotés du peson électoraliste par exemple ? Les transports publics sont très efficaces et bien développés au Japon et c’est le gros bordel avec le STIF : et on ne peut plus sérieusement rester dans le déni relativement au réchauffement climatique anthropique, méconnaître les méfaits des agricarburants ou des modes de vie « barbaquiers » de beaucoup trop de consommateurs et leur effet sur le marché alimentaire mondial de plus en plus tendu, comme sur les agrosystémes ou les écosystèmes provisoirement ou partiellement soustraits à la pression humaine. Un engagement du géographe donc, et l’éclairage spécifique de notre discipline pour un débat public digne du principe de participation de la convention internationale d’Aarhus.
3) L’opinion le nouvel expert ? Des choix « technologiques » comme d’aménagement devant passer par la laborieuse procédure de la démocratie participative ?
Le système représentatif interdirait a priori la mise en place de la démocratie directe, cependant la faible participation aux élections ou aux enquêtes publiques semblent faire affaiblir la légitimité des élus pour les grands choix d’aménagement, d’urbanisme, d’équipements industriels et leurs techniques et filières. Nul doute qu’au Japon, autant qu’en France ou dans n’importe quel Etat organisé « moderne » on a besoin de plan et de grandes orientations, et ici comme ailleurs il est tentant de fabriquer sa légitimité de décideur en ayant recours à l’expertise technique. Cependant il est de moins en moins bien toléré – en particulier dans les Etats à exécutif hypertrophié comme la France (gouvernement et élus locaux) – qu’échappe au choix explicite de la population les grands choix qui amènent à façonner durablement les territoires. Que ceux-ci intègrent la dimension risque naturel et/ou « technologique » semble évident, et quel meilleur « généraliste » est le mieux à même d’intègrer les nombreuses exigences des anthroposystèmes dans leurs dimensions spatio temporelles, sinon le géographe, à condition que celui-ci sache maîtriser ses manies paradigmatiques, anti catastrophistes, anti déterministes et prenne l’audace de faire percevoir autrement qu’espsilonesque les risques perçus comme tels car non réalisables à échelle de temps « visible » ?
Une discipline devant siffler la fin de la mise au piquet de la géographie physique ?
Nul besoin de refaire le coup de l’épistémologie de la discipline à celle ou celui qui voudra me lire, ce 20ème siècle, sa 2de moitié… catastrophique ( !) pour les savoirs qu’on ose à peine encore regrouper sous le terme de « géographie physique », l’hégémonie actuelle de la géographie culturelle, au nom peut être de la situation au sein des sciences sociales, mais l’évidence me semble là : le « géoïde patatoïdique » n’a peut être pas de représentations cognitives de lui-même mais il a ses exigences, et celles-ci doivent inspirer nos constructions mentales, celles de l’admirateur de paysage comme celles de l’apprenti géographe.
Conclusion
Il n’est sans doute pas raisonnable de réagir à chaud à un évènement d’une telle gravité, 10 cm de modification de l’axe de rotation de la Planète ne seront évidemment pas le seul effet du cataclysme qui a frappé le Japon ce mois de mars de la deuxième décennie du 21ème siècle, et il se pourrait que ce dernier doive être géographique pour mieux paramétrer la trajectoire de nos sociétés, si on ne veut pas trop vite vérifier qu’elles sont mortelles. Fragiles elles le sont, et fort doit être le discours du géographe quant il s’agit, ici comme ailleurs, d’admettre les exigences de notre environnement, que nous façonnons et qui rétroagit certes, mais dont nous devons faire connaître les risques, et chance si nous versons dans le catastrophisme : il y aura toujours un discours « raisonnable » de tenant du réalisme économique pour faire isostasie… En attendant merde à Yvette, si je peux m’exprimer en français, et vive le beau genre !