Les prétentions extraterritoriales de l'Argentine : du XIXe au XXIe siècle.
Les prétentions extraterritoriales désignent les aspirations expansionnistes et l’irrédentisme de certains gouvernements. Il s'agit d'étendre son territoire afin d'augmenter l'influence politique et l'autorité du pays. On peut parler de stratégie géopolitique dans le sens où le pays vise à annexer, envahir ou prendre une partie des territoires voisins pour exalter sa puissance territoriale en légitimant cette expansion par des facteurs économiques et politiques liés à la géographie et à l'Histoire. On revendique un droit sur un territoire qui jusqu'à présent ne nous appartient pas juridiquement. Historiquement, le territoire argentin s'est construit au lendemain de l'indépendance à partir du démantèlement des possessions coloniales espagnoles en Amérique du Sud et de leur réagencement par les Etats alors constitués. L'Argentine connut un fort recul diplomatique et des pertes de territoires au profit des pays limitrophes et notamment du Chili. Le pays s'est toujours senti lésé dans le partage des territoires, à tel point que les revendications territoriales font partie du programme politique du gouvernement. En avril 2005, le président Nestor Kirchner déclarait que la restitution des îles Falklands, de la Géorgie du Sud et des îles Sandwich du Sud était "un objectif permanent irrévocable du peuple argentin". Cristina Kirchner, la présidente actuelle avait affirmé dans son discours inaugural de 2007 que la souveraineté de l'Argentine était "non-négociable". Les prétentions extraterritoriales entrent non seulement dans la sphère politique mais aussi dans les manuels scolaires qui intègrent ces îles dans le territoire argentin (Cf. annexe 1). Même les cartes officielles, éditées après accord de l'Institut géographique militaire revendiquent la possession de ces espaces. C'est ainsi que des territoires soumis à des administrations étrangères ou à des traités internationaux sont présentés comme faisant partie de l'Argentine. L'historiographie actuelle affirme que ces espaces ont été injustement pris à l'Argentine. L'école, les dirigeants politiques et parfois même les historiens proclament le bien-fondé de ces revendications territoriales. Les conflits dans lesquels l’Argentine est impliquée se concentrent dans trois régions:
- les terres de Patagonie, situées dans la partie méridionale du Cône Sud. Cela comprend le canal de Beagle et les passages maritimes de la Terre de Feu. Ces territoires ont été l'objet de nombreux litiges entre le Chili et l'Argentine. Un contentieux demeure encore aujourd'hui entre l'Argentine et l'Angleterre à propos des îles Malouines.
- les terres inhospitalières du Chaco Central et du Chaco Boréal, objets de dispute entre la Bolivie et l'Argentine.
-les droits de navigation et d'exploitation sur le bassin du Rio de la Plata ont été des éléments de discordes entre l'Argentine, le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay.
Il s'agit maintenant de voir les revendications territoriales de l'Argentine.
Revendications sur le Canal de Beagle (îles Lennox, Nueva et Picton)
Le secteur du canal de Beagle et plus particulièrement son entrée orientale et les îles qui s'y trouvent (Lennox, Nueva et Picton) suscitent une rivalité entre le Chili et l'Argentine qui a failli provoquer en 1978 une guerre entre les deux pays. Cet espace offre de nombreuses possibilités maritimes et de potentielles revendications sur la péninsule Antarctique. En 1971, Salvador Allende et le général Alejandro Lanusse, présidents respectifs du Chili et de l'Argentine, conviennent de soumettre l'issue du différend territorial à une Cour d'arbitrage organisée sous les auspices de la couronne britannique. En 1977, la Cour décide que les territoires appartiennent au Chili. La sentence rendue en février 1977 est rejetée par l’Argentine. La junte militaire prévoit alors une intervention militaire, "l'opération Souveraineté" mais celle-ci est ensuite annulée. Finalement, le conflit est réglé en 1984 après la médiation du pape Jean-Paul II. Les deux pays signent le traité de paix et d'amitié le 23 janvier 1984 au Vatican. Ce traité attribue les îles au Chili mais une grande partie des droits maritimes à l'Argentine. Cette affaire a conduit le Chili et l’Argentine au bord du conflit armé. L’enjeu était d’ordre territorial, il concernait le contrôle du plateau continental mais il était aussi d’ordre géopolitique, la possession du Canal de Beagle permettait de formuler ensuite des revendications sur l’Antarctique.
La question de la frontière entre le Chili et l'Argentine
Les deux pays ont plus de 5000 km de frontières communes parcourant des espaces difficiles. Il est donc difficile de trouver un accord pour délimiter la limite entre les deux pays; cela soulève des tensions et une hostilité réciproque. Les Argentins proposent comme limite la ligne des hauts sommets tandis que les Chiliens préfèrent la ligne de partage des eaux. Les désaccords persistent jusqu'en 1991; les présidents argentin et chilien signent alors à Buenos Aires une "déclaration présidentielle sur les limites entre l'Argentine et le Chili" pour résoudre les 24 points litigieux. Seuls 22 points sont réglés. Les problèmes restants concernaient le secteur des Andes patagoniennes où la ligne de partage des eaux diffère de celle des hauts sommets, notamment autour du Mont Fitz Roy et de la Laguna del desierto. Il demeurait aussi la question des Glaces continentales, objets de rivalité entre les deux Etats. Finalement, un nouvel accord sur ces points litigieux est signé en 1998 et ratifié en 1999. Il reste toutefois des polémiques récurrentes et une méfiance réciproque entre les deux pays.
Revendications sur l'Antarctique
Dès 1948, l'Argentine fait reconnaître ses prétentions d'exercer sa souveraineté sur un secteur de l'Antarctique. L’Antarctique est administré dans le cadre du traité sur l’Antarctique adopté en 1959 par douze Etats. Sept d’entre eux (Argentine, Australie, Chili, France, Norvège, Nouvelle-Zélande et Royaume-Uni) ont des prétentions territoriales sur des secteurs déterminés du continent. Les intérêts des Etats sont nombreux : recherche scientifique, possibilité d’établir des stations pour surveiller les eaux avoisinantes, volonté d’exploiter les ressources halieutiques et minérales de l’Antarctique. L'Argentine revendique 981 182 km² de terres situés dans l'Atlantique sud et dans l'Antarctique ; elle justifie sa prétention par la proximité géographique. Elle ferait partie de la Cordillère des Andes. A cela s'ajoute l'exploitation précoce de ce territoire par les Argentins (chasse aux phoques et à la baleine), la permanence d'établissements humains dans les nombreuses bases scientifiques de la région et les opérations de sauvetage menées par la marine argentine dans ces eaux difficiles. L'Etat argentin s'appuie aussi sur le fait que le premier aéroport a été construit par l'Argentine en 1969. Cependant, l'Argentine a du s'incliner devant la signature du traité de Washington en 1959 qui a permis d'internationaliser le continent Antarctique pendant 30 ans. En 1991, le protocole de Madrid a fait de l'Antarctique une réserve dédiée à la science et à la paix et ce jusqu'en 2041. Ce traité sur l'Antarctique relatif à la protection de l'Environnement est entré en vigueur en 1998. L'Antarctique est désormais habité par environ 4000 scientifiques de toutes nationalités. Les revendications territoriales ont donc été gelées au moyen de la signature du protocole de Madrid, qui garantit un statut international à l'Antarctique. Néanmoins, malgré le gel des revendications territoriales en 1959, les sept Etats dits « possessionnés » ne renoncent pas à leur souveraineté territoriale. Il n’en reste pas moins que l’Antarctique est un territoire « international ».
Revendications des îles Malouines
La question des îles Malouines constitue l'affaire la plus douloureuse. Il s'agit d'un archipel de 13 000 km2 qui se situe à moins de 600 km des côtes de la province de Santa Cruz, peuplé de 2000 habitants d’origine britannique. Il se compose de deux îles principales (Falkland occidentale et Falkland orientale) séparées par un chenal, le détroit de Falkland et de plus de 750 îles et îlots. La superficie de l'archipel est de 12 173 km2. L'Argentine justifie sa volonté de souveraineté par la proximité géographique et par l'Histoire, puisque les îles constituent l'héritage de l'époque coloniale espagnole; elles avaient été administrées par l'Argentine en 1811. Toutefois, en 1833, la Grande-Bretagne s'empare de ces territoires insulaires, expulse le gouverneur argentin et y installe un administrateur et des sujets britanniques. La junte militaire argentine revendique en 1982 ce territoire pour redorer son blason en unissant le pays face à la crise; de plus, les militaires avaient développé le concept d'une "Argentine bicontinentale" comprenant une partie de l'Antarctique. Cette conquête territoriale est pour beaucoup d'Argentins une véritable mission patriotique. Le gouvernement militaire constitue en 1982 une "Union sacrée" afin de reconquérir les Malouines. Le 26 mars 1982, le général Galtieri décide d'envahir l'île de Géorgie du Sud, elle-même dépendante des îles Malouines. Il entreprend ensuite l'invasion des îles Sandwich du Sud. Londres organise alors une pression diplomatique à l'encontre de l'Argentine; la majorité des Etats de l'ONU se rangent derrière le Royaume-Uni. Du côté des populations, les habitants des Malouines, bien que dotés d'un statut national complexe mais d'ascendance britannique, ne souhaitent nullement être dirigés par l'Argentine, qui plus est par une junte militaire. Devant la violence des soldats, la Communauté européenne vote une sanction contre l'Argentine. Un projet américain est ensuite proposé pour régler le conflit, il s'agit d'une triple-administration sur les Malouines (américaine, argentine et britannique). C'est un échec. R. Reagan se déclare finalement en faveur des Britanniques et ordonne des sanctions économiques envers l'Argentine. Le conflit se solde par la reddition des troupes argentines le 14 juin 1982. Les relations diplomatiques entre les deux pays reprennent seulement en 1990. Des accords sont passés au sujet de l'exploitation économique du domaine océanique autour de l'archipel. S'ensuit un dégel des relations entre la Grande-Bretagne et l'Argentine. En 1995, Londres et Buenos-Aires signent une déclaration commune sur la coopération dans le domaine off-shore dans l’Atlantique du Sud-Ouest. Les deux pays acceptent de mener des activités communes et de favoriser l’exploration d’hydrocarbures, notamment dans une zone spéciale de 21 000 km2 située entre les Malouines et l’Argentine. Toutefois les deux pays n’ont pas réussi à s’entendre sur la portée de la déclaration. Aujourd’hui encore, les îles constituent un enjeu territorial majeur pour les deux pays, d’autant plus que des réserves de pétrole, "quelque 13 milliards de barils" dormiraient sous les eaux. L’expert argentin, Federico Bernal, directeur du Centre latino-américain de recherches scientifiques et techniques, a déclaré qu’on pourrait extraire annuellement de l'archipel des Malouines 153 millions de barils. Le conflit est donc loin d’être terminé puisqu’en 2010, le gouvernement britannique réclamait une présence renforcée de la Royal Navy dans l'archipel des Malouines après la décision de l'Argentine de soumettre à autorisation la navigation vers les îles qu'elle revendique. Buenos Aires a ensuite réagi contre le début imminent aux Malouines d'une prospection pétrolière que le Premier ministre travailliste britannique Gordon Brown jugeait légitime dans l'archipel. Cela faisait allusion au décret signé le 16 février à Buenos Aires par la présidente de centre gauche Cristina Fernandez de Kirchner qui stipulait que "tout navire se proposant de transiter entre des ports de l'Argentine continentale et des Malouines ou de traverser des eaux juridictionnelles argentines en direction des îles ou de charger des marchandises entre ces ports devra solliciter l'autorisation préalable du gouvernement argentin". Le rapport de force demeure et les tentatives de conciliation n’aboutissent pas pour le moment, malgré l’intervention de l’ONU qui en appelle à des négociations sur la souveraineté des Malouines.
Les contentieux sur la frontière entre l'Argentine et l'Uruguay
Entre l'Argentine et l'Uruguay, deux problèmes persistaient sur le plan frontalier, celui du Rio Uruguay et celui du Rio de la Plata. D'abord, le conflit au sujet du Rio Uruguay est résolu par un accord signé 1961, qui définit la limite entre les deux Etats tantôt sur la ligne médiane du Rio tantôt sur la ligne de profondeur utile à la navigation. Quant au Rio de la Plata, le problème est réglé par un accord signé en 1973, qui prévoit que les eaux de l'estuaire sont d'un usage commun sauf dans les franges de juridiction exclusives à partir de la côte. Une commission administrative est chargée d’assurer la sécurité de la navigation dans le Rio de la Plata. D'autre part, une ligne sinueuse détermine les juridictions respectives sur le littoral et le sous-sol. Des accords spécifiques sont enfin passés pour les activités de pêche et la pollution des eaux du secteur. Les deux pays ont décidé d’instaurer une zone commune de pêche.
Le conflit juridique entre l'Argentine et l'Uruguay: la question de l'implantation de l'usine de pâte à papier sur le fleuve Uruguay
L'Argentine et l'Uruguay sont en conflit depuis 2007 à propos de l'installation d'une usine de production de pâte à papier qui appartient à l'entreprise finlandaise UPM-Kymmene. Cette structure se trouve sur les eaux binationales du Rio Uruguay. L'Argentine a fait appel à la Cour Internationale de Justice pour régler le conflit car elle considère que cette implantation s'est faite en violation du statut du Rio Uruguay, qui rappelons-le, appartient aux deux Etats. A cela s'ajoute des accusations concernant la dégradation de l'Environnement. Le 20 avril 2010, la Cour Internationale de Justice a dévoilé la sentence. L'Uruguay a violé le processus légal qui consiste à informer l'Argentine de l'implantation de l'usine sur un cours d'eau commun aux deux Etats. Cependant, elle n'a pas violé ses obligations envers l'Environnement. Les menaces et les risques de contamination ne se révèlent pas urgentes au point de fermer l'usine. La Cour rejette donc le souhait de l'Argentine, qui était de fermer l'usine; néanmoins elle prévoit que les deux pays administrent conjointement le cours d'eau, en vertu de la Commission administrative du Rio Uruguay (CARU) et en respectant le statut du Rio Uruguay de 1975. Le 2 juin 2010, la présidente argentine Cristina Kirchner a insisté auprès de son homologue José Mujica pour que l'Argentine puisse entrer dans l'usine UPM afin de la contrôler et de prévoir la contamination du Rio Uruguay. Il s'agit de surveiller dans quelles conditions les déchets de l'usine interfèrent avec le cours d'eau et de voir comment la destruction des déchets se passe. Le 28 juin 2010, les deux présidents se sont réunis au palais présidentiel d'Olivos dans lequel il a été décidé d'établir un Comité scientifique dirigé par deux scientifiques uruguayens et deux scientifiques argentins pour surveiller les eaux de l'Uruguay. Ce conflit ne résulte pas de revendication strictement territoriale mais elle témoigne de la complexité des statuts des frontières entre l'Argentine et les pays limitrophes. Juridiquement, l'implantation de cette usine pose un problème de responsabilité. Les frontières ne sont pas claires et elles ne sont pas réglées par des textes précis qui définissent les droits de chacun. Des progrès sont encore à faire au niveau du partage des territoires pour rendre justice aux intérêts divergents. Il s'agit d'œuvrer au mieux en vue d'une "justice territoriale".
Les prétentions extraterritoriales de l’Argentine portent donc sur les territoires et les îles alentours. Le gouvernement argentin revendique non seulement des morceaux de territoires et des îles mais il cherche aussi à élargir ses territoires en voulant repousser les frontières et étendre ses droits sur les espaces maritimes et fluviaux. Les conflits géopolitiques découlent d’ailleurs tous de considérations halieutiques et hydrocarbures. Il s’agit de s’approprier des fleuves et des parties de l’Océan Pacifique et de l’Océan Atlantique afin d’exploiter les ressources liées au milieu maritime et fluvial. L’estuaire du Rio de la Plata, le Canal de Beagle et les alentours des îles Malouines et de l’Antarctique constituent des enjeux économiques et politiques fondamentaux pour l’Argentine.