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 Pauvreté, ségrégation, violences urbaines

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Thibault Renard

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Philippe Pinchemel
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MessageSujet: Pauvreté, ségrégation, violences urbaines   Pauvreté, ségrégation, violences urbaines Icon_minitimeDim 31 Oct - 10:06

Pauvreté, ségrégation, violences urbaines



Scribe : Véronique Fourault

Introduction


Les violences urbaines ont pu être définies comme suit : « collective, ouverte et provocatrice, elle est à la fois destructrices (incendies d’écoles et d’infrastructures soci-éducatives, rodéos, tapages), émotionnelle, (attroupements hostiles, émeutes), spectaculaire, parfois ludique, très souvent crapuleuse (razzias, vols avec violence, rackets(...), toujours juvénile ». Et L. Bui Trong, (commissaire aux renseignements généraux citée par S. Body Gendrot, p 199-200) d’ajouter : « certains délits sont commis en centre ville, dans les centres commerciaux, dans les transports en commun par des bandes mobiles (...) composées essentiellement de jeunes en provenance de banlieues parfois lointaines ; (...) Par ailleurs des phénomènes de type anarchisant, émotionnel, se déroulent au sein de certains quartiers sensibles, de la part de jeunes appartenant en majorité à la seconde génération, agissant sous forme de groupes, instables, éphémères... et développant une sous-culture de quartier hostile aux représentations des institutions ». Si cette définition demande à être nuancée, elle permet de distinguer des nuances spatiales de manifestation de la violence urbaine. En outre, il apparaît que les violences urbaines ne se confondent donc pas avec la simple délinquance et semblent liées à des points particuliers de l’espace urbain et à des populations à l’habitat également déterminant.
Semble donc posée en filigrane la question d’un rapport de causalité entre pauvreté (manque de moyen relatif aux autres ou dans l’absolu), ségrégation (processus et son résultat de division sociale et spatiale d’une société en unités distinctes) et violences urbaines dans les villes françaises.

L’organisation spatiale des villes françaises est-elle un facteur spécifique de fragmentation sociale, ou bien les problèmes dits «urbains» ne sont ils que la manifestation, la projection de problèmes plus généraux comme le chômage ou l’exclusion ?
Existe-t-il un moteur spécifiquement urbain ou local de la montée de la pauvreté et de formes corrélatives de violence ?



I La ville aux racines de la ségrégation socio-spatiale : le confinement de populations pauvres explicatif des violences urbaines

1) La ville française comme lieu de la division fonctionnelle et du regroupement catégoriel : une ségrégation économique

a) La ville, organisme ségrégatif ?

La répartition des fonctions au sein d’une ville paraît répondre d’abord à des exigences techniques. Commerces de détail, équipements rares, bâtiments industriels sont localisés suivant le coût de telle ou telle position et des avantages qu’on peut en retirer.
Ensuite, la carte sociale de la ville est le plus souvent identifiée à celle de l’habitat et de ses composantes socio-professionnelles, l’habitat étant lui-même lié sinon conditionné par les types d’activités à proximité.
La partition fonctionnelle de la ville corrélative à l’émergence de l’industrie a par exemple abouti fin XIX° et début XX° à l’apparition de banlieues ouvrières, plus généralement d’espaces d’habitat ouvrier aux profils socio-économiques semblable.
La désagrégation de cette société industrielle à la fin des années 70 coïncide avec la désindustrialisation et l’évolution des qualifications, la montée du chômage. D’où des répercussions inévitables sur ces quartiers ouvriers. L’exclusion du travail constitue une forme majeure de ségrégation aujourd’hui dans nombre de quartiers réputés «sensibles» : à Vaulx-en-Velin, 35% des 18-35 ans sont au chômage. On a par conséquent concentration des populations fragilisées, et bien souvent émergence du quartier comme espace redouté de l’extérieur de par ses difficultés économiques.

En outre, la pauvreté est souvent considérée comme manque de moyens financiers par rapport à une moyenne. Pourtant, au sens large, elle englobe nombre de facteurs sociaux, économiques, culturels, qui participent à des formes de ségrégations au sein de la ville d’autant plus forte que ces indicateurs convergent sur certains espaces, à la fois du fait des parcours individuels et des évolutions collectives. Ainsi, l’analyse du tissu urbain de Grenoble révèle que le quartier de Tesseire, situé à proximité des zones industrielles du sud est de la ville, multiplie les facteurs indicateurs d’un risque de fragilité socio-économique : la proportion de chômeurs dépasse les 16%, les familles monoparentales constituent de 15 à 20% des habitants, les populations étrangères dépassent 16% de la population totale.
Si la concentration des difficultés sur certains espaces urbains apparaît clairement, en revanche, quel sens lui attribuer ? dans quelle mesure expliquer ces différentiels ? Comment rendre compte de ces phénomènes de ségrégation à l’échelle urbaine française ?

b) Prégnance et limites des modèles d’études américains appliqués au cas français

On peut pour partie appliquer aux villes françaises les modélisations de l’espace urbain mises au point pour les villes américaines par les chercheurs de l’écologie urbaine. Burgess montre à partir de Chicago comment se constituent par le biais de la compétition des aires naturelles, homogènes, définies par la présence de groupes sociaux déterminés, par un peuplement en excluant d’autres. Bref, il met à jour des processus ségrégatifs. Dans son modèle, le niveau social, l’ancienneté d’appartenance à la ville, l’assimilation augmente du centre vers la périphérie suivant un modèle radioconcentrique.
Le modèle de Hoyt, fondé sur une bonne connaissance du marché foncier, accorde une plus grande place au marché foncier, aux phénomènes d’attraction/répulsion entre les différents groupes sociaux.
Ullman quant à lui met à jour l’existence de centres différenciés.

Les modèles de Burgess, Hoyt et Ullman, élaborés dans le cadre de l’école de Chicago sont de fait partiellement applicables à l’espace français. Ainsi, leur application au cas français de Nantes permet de saisir clairement les mécanismes en jeu et ont largement permis à la discipline de saisir l’existence de formes de ségrégation liées au statut socio-économique des populations, ainsi qu’à la partition entre zone d’habitat/zone de travail : on observe clairement une division de l’espace urbain en fonction des activités des populations cf schéma 1, mais aussi en fonction du cycle de vie des populations.

Tous ces schémas s’appliquent incomplètement à la ville française, dans la mesure où elle diffère largement des organismes urbains américains, notamment sur le plan ethnique ou sur l’appréciation du rapport centre ville/périphérie. Si les processus sont en partie similaires, les formes prises par la ségrégation divergent.

2) Des poches de pauvreté aux « cités » ou « quartiers sensibles » : une ségrégation multifactorielle

a) Ségrégation et politiques urbaines : l’ambiguïté des politiques de logements sociaux en France

Si l’on s’en réfère à la définition stricte de la ségrégation, il s’agit « d’ôter du troupeau », c’est à dire d’exclure intentionnellement. Cette politique, observable ailleurs, n’a pas été systématisée en France (si l’on exclut les villes coloniales aujourd’hui intégrées dans les DOM où le dédoublement correspond à une volonté ségrégative claire. Ex : Fort-de-France ou Saint-Denis de La Réunion, opposition des quartiers au plan en damier de la ville coloniale et des quartiers autochtones extérieurs, privés d’équipements, séparés par des éléments naturels comme la « Rivière-des-Noirs » à Saint-Denis)
Toutefois, localement, on peut constater que nombre d’espaces pauvres du tissu urbain français ont été plus ou moins intentionnellement mis à l’écart du reste de la ville. L’exemple de Mantes-la-Jolie est éclairant à ce titre : cf Schéma : le quartier du Val-Fourré est largement coupé du centre ville par une autoroute, une voie de chemin de fer.

On peut en outre relever un facteur supplémentaire de ségrégation socio-spatiale dans la dégradation des logements sociaux et de leur environnement. Certes, au départ, il n’y a pas eu volonté affirmée de mettre à l’écart, de construire des villes pour en faire des ghettos. Il y a eu volonté politique de donner après guerre un logement décent à ceux qui vivaient dans des logements insalubres. Mais les procédures d’accession à la propriété encouragées par Chalandon (les fameuses «chalandonnettes», pavillons individuels qui bordent aujourd’hui l’ensemble des villes de France) puis Barre en 1977 entraînent le départ de ceux qui avaient des revenus stables et une épargne subventionnée et précède l’arrivée de familles aux ressources plus faibles. En outre, le choix de localiser tours et barres sur des terrains acquis à moindre coût, près des chemins de fer, d’autoroutes, de dépôts, de centres industriels a constitué un premier handicap. Les architectes ont ensuite été accusés de la dégradation rapide du bâti. De fait, dans 80% des cas, on note un manque d’étanchéité des façades, dans 77% des problèmes d’isolation phonique et thermique. Dans 85% des cas de grands ensembles à réhabiliter, le vandalisme (boîtes aux lettres défoncées...) abîme les espaces communs. La négligence des autorités publiques à l’égard de l’entretien des bâtiments, des appartements et des espaces environnants a accéléré l’aspect de désolation de ces lieux.
Et les travaux de réhabilitation (174 000 logements entre 1984 et 1989) posent de nouveaux problèmes : ils se soldent en effet le plus souvent par un renouvellement de population des quartiers dégradés, les familles modestes ne pouvant assumer les nouveaux loyers. Malgré des efforts en ce domaine pour maintenir les populations antérieures, on observe donc des formes nouvelles de ségrégation sociale liées indirectement aux politiques du logement.

D’aucuns se sont interrogés sur la forme même du bâti de logement social : c’est notamment le cas de sociologues comme F. Maspero qui affirme ainsi «c’est peut être finalement ça, la marque des 4000, cette impression de vide… un ensemble qui ne réunit, qui ne rassemble rien, où rien ne paraît avoir de sens, pas même celui d’une machine à habiter, où rien n’est beau et rien n’est laid, où tout est nul». De fait, la présence paysagère massive de grands ensembles sans convivialité accuse une marginalisation du reste de la ville. Expliquer les violences urbaines par la forme de l’habitat paraît en revanche plus hasardeux.

b) Ségrégation, agrégation : l’émergence de territoires appropriés marginaux

On relève également le développement de regroupements communautaires de plus en plus nets suivant des critères «ethniques», corrélatifs souvent d’une première exclusion de la ville et qui se traduit par une forme de fusion identitaire caractéristique des entités socio-spatiales organisées. Et qui va jouer ensuite à nouveau le plus souvent dans le sens d’une stigmatisation renforcée par les acteurs sociaux majoritaires de la ville. Certains sociologues (F.Dubet) ont ainsi parlé de «quartiers d’exil» ou de «sécession urbaine», expression destinée à mettre en valeur le fait qu’émergeraient deux villes parallèles et qui s’ignorent.

c) Ségrégation, perceptions et dramatisation : des regards extérieurs souvent méfiants

Les mécanismes d’agrégation et de ségrégation conduisent par une spécialisation subie ou organisée à la constitution de véritables enclaves isolées du reste de la ville par des frontières matérielles ou symboliques.
Si la co-existence est bien souvent moins conflictuelle qu’il n’est généralement dit, toute la sociabilité et l’espace sont sous l’emprise du stigmate, et jugés déficients ou anomiques. C’est par rapport à la réputation qu’on se détermine, et donc que sont jugés les habitants par l’extérieur. «Quand on parle mettons avec des filles qui habitent une cité plus propre, plus... vous leur dites «j’habite à la Roseraie», alors elles s’en vont, elles nous prennent pour des délinquants», note Ali, jeune homme d’une banlieue du nord de la France interwievé par P. Bourdieu.

Ces représentations sont d’autant plus importantes qu’elles jouent un rôle essentiel dans l’évolution sociologique concrète de ces espaces. Ainsi peut-on reprendre l’expression de JF Staszak de «prophétie auto-réalisatrice» : penser un espace comme dangereux, le stigmatiser contribue à le rendre tel en participant activement du processus ségrégatif. La mise en chantier d’une ZAC à Domont dans le Val d’Oise a par exemple entraîné un mouvement de fuite des populations en place, la rumeur ayant couru qu’elle servirait à reloger les habitants des «4 000» de la Courneuve.

Plus généralement, la violence urbaine fait partie des préoccupations majeures de la population : cf les thèmes des élections, ou ce sondage de 1998 : 82% des personnes interrogées estimaient alors que les violence dans les villes et les banlieues avaient atteint un niveau angoissant jamais atteint auparavant, avec 70% de réponses de ce type parmi les moins de 25 ans, 93% des plus de 65 ans. Ce qui est associé à une image généralement péjorative des «banlieues», «quartiers» ou «cités», stigmatisés en bloc, objets d’une ségrégation mentale de la part du reste de la population.

Les médias participent largement de cette ségrégation, développant souvent le fantasme d’espaces clos, inaccessibles : on a ainsi parlé « d’enclaves musulmanes » pour désigner des quartiers de villes françaises lors de la guerre du Kosovo en 1999, de « cités interdites » pour décrire des grands ensembles présentés comme le repaire de tous les crimes et délits, de toutes les violences et émeutes possibles. Cf en doc annexe quelques articles qui témoignent de cette ségrégation mentale, dans les discours médiatiques.

3) Les violences urbaines comme conséquence de ces tensions ? Vers une explication partielle.

a) Les voitures brûlées de Strasbourg, les rodéos de Vaulx-en-Velin

On peut ici reprendre la définition première des violences urbaines, se manifestant essentiellement dans les espaces où s’exerce la ségrégation de manière la plus violente. Les vols avec violence à Paris en 1997 déstabilisent essentiellement les quartiers les moins aisés (XVIII-XIX-XX°). Au delà de cet exemple qui se rapproche plus de la délinquance mais est à prendre en compte dans la mesure où il favorise le sentiment d’insécurité, notamment des non-résidents, qui jettent un regard de plus en plus négatif sur cet espace, se manifestent d’autres formes de violences urbaines dans les espaces de la ségrégation. A. Dauphiné affirme ainsi qu’existent en France 132 « cités interdites », dont 55 autour de Paris, 8 autour de Lyon. On perçoit ici à la fois la connotation extrêmement péjorative associée à ces espaces et parallèlement la réalité de violences urbaines importantes dans ces espaces. Un récent rapport du secrétariat au logement révèle ainsi que la part des personnes déclarant avoir été victimes d’un acte de délinquance ou d’une incivilité est plus forte dans le monde HLM qu’ailleurs et ces actes ont tendance à se reproduire plus fréquemment. 28% des habitants d’un logement social disent avoir souffert de ces désagréments à plusieurs reprises depuis un an, contre 22% des habitants logeant dans le parc privé. De même, Vaulx-en-Velin détient le record d’adolescents arrêtés à Lyon.
On peut donc en conclure que les quartiers pauvres de grandes agglomérations mais aussi les banlieues déshéritées des métropoles européennes ou américaines sont les plus touchées.

Strasbourg est désormais célèbre pour la mise à feu de voitures dans le secteur du Neuhof, rebaptisé « l’Autogrill » : 197 voitures brûlées en 1997, et des formes d’incidents sérieux face à la police depuis 1994 :


/1994199519961997
Affrontements/forces de l’ordre1000
Incendies de véhicules16121153
Jets de pierres en groupe320-
Dégradations cabines téléphone1361421
Interpellations1212112

In S. Body gendrot

Les explications de ces phénomènes sont multiples et incomplètes : on peut les lire comme la conséquence de la constitution de zones de plus ou moins grande exclusion dans certains quartiers et la connexion de plus en plus étroite de la ville avec l’Europe économique et culturelle particulièrement avec un marché de Noël qui croît d’année en année dans le centre ville. Une forme de délinquance « d’exclusion, de désespoir, s’est développée dans ces quartiers anciennement ouvriers, qui concentrent aujourd’hui les difficultés liées au chômage massif ». Strasbourg illustre donc typiquement le cas d’une ville duelle, où la ségrégation entraîne une exagération des tensions et violences.

b) un scénario souvent similaire

Tous ces facteurs concourent à expliquer partiellement le premier type de violences urbaines définies en introduction.
Plus précisément, celles ci se caractérisent par :
un élément déclenchant, le plus souvent un incident parfois grave qui suscite un mouvement de solidarité et de révolte à l’échelle de quartiers, d’autant plus qu’une discrimination sociale ou territoriale peut être perçue dans l’incident. Souvent une intervention de la police apparaît comme un facteur déclenchant ou d’entretien des émeutes après l’arrestation d’un dealer, fin d’un rodéo, arrestation ayant entraîné blessures voire pire pour les personnes visées.
Des facteurs aggravants : une vie sociale parfois déjà marquée par la violence, des trafics divers en arrière-plan, l’attente de sensationnel des médias qui incite à l’entretien des violences urbaines
L’attaque de lieux et personnes symboliques : La Poste, les équipements municipaux, la gendarmerie, les pompiers et policiers...

II La ville, miroir de la société : des violences urbaines comme symptômes de problèmes aspatiaux ?

1) Des ségrégations à plus grande échelle : parcours individuels de la pauvreté

Les villes françaises donnent de moins en moins lisiblement à voir les ségrégations qui les structurent.
On peut de fait souscrire à l’analyse de Jacques Brun : « Lorsqu’on parle de ségrégation, on se réfère généralement encore à un espace essentiellement constitué d’unités territoriales bien délimitées et s’emboîtant les unes dans les autres selon une hiérarchie linéaire : agglomérations, communes, quartiers, îlots. Mais face à cette représentation « aréolaire », ne peut-on opposer une nouvelle image, celle d’un espace traversé par des réseaux concrets et abstraits, structuré de façon mouvante autour d’axes et de points d’interconnexions, espace fait de zones parfois discontinues, parfois enchevêtrées, bordées non plus de limites claires mais de franges indécises ? »

De fait, la prise en compte des réseaux, des mobilités, conduit à l’abandon d’une conception statique du quartier où résiderait une population captive, au profit d’une vision plus dynamique de l’espace vécu, qui complexifie largement tant la notion de ségrégation que les hypothèses d’explication des violences urbaines et leurs éventuelles résolutions. Sans doute peut-on mesurer sans trop de difficultés la ségrégation entre travail et résidence. Plus difficile est de concevoir les rapports entre ségrégation de l’habitat et ségrégation sociale.

Simplifiée par l’image d’Epinal des immeubles parisiens du XIX° dans lesquels chaque étage correspondait à une classe sociale différente, cette ségrégation à grande échelle s’avère lourde de conséquences en matière de prévention et d’aide des pouvoirs publics. De fait, le principe de péréquation qui a historiquement contribué à la généralisation spatiale et sociale des services dans un contexte d’accroissement du pouvoir d’achat s’avère inadapté à ce nouvel enjeu historique qu’est la menace de débranchement pour les ménages les plus modestes. En effet, il s’agit de moins en moins d’assister un sous ensemble de la population spatialement circonscrit, mais au contraire de plus en plus dispersés. Ainsi les impayés d’eau et d’énergie ne sont plus aujourd’hui l’apanage des quartiers défavorisés. Nombreux sont les habitants de logements vétustes en centre-ville, dans des co-propriétés dégradées, où l’isolation thermique est défaillante etc.

Il n’est pas de quartier qui ne compte de chômeurs, pas d’espace de la ville qui ne soit touché par la pauvreté et la précarité : à Rennes, la distribution par quartier du RMI illustre une forme de diffusion typée, mais généralisée des phénomènes : les familles logées dans le parc HLM - essentiellement en quartiers périphériques - sont des populations identifiées et bénéficiant d’un suivi social (familles pauvres, SDF) alors qu’au centre existent d’autres formes de pauvreté, avec des personnes rencontrant des difficultés ponctuelles ou durables, souvent jeunes, isolées, sans emploi. La densité relative qui mesure le rapport entre bénéficiaires du RMI et nombre de logements fait apparaître dans cette même ville de faibles écarts à la moyenne en 1995 : seuls 7 quartiers dépassent légèrement le taux moyen de 3.8% (Penven p 107)

2) Une ville française éclatée ou une société en crise ? Ségrégation et violences urbaines comme conséquence de facteurs aspatiaux ?

Des difficultés économiques générales

Le nombre de foyers aidés dans le cadre des conventions annuelles pauvreté-précarité a été multiplié par 2 entre 1992 et 1995, avec une hausse de 20% en 1996.
Chômage : une enquête INSEE à partir des recensements de 1990 montre que dans les 500 quartiers considérés comme prioritaires par la politique de la ville, le taux de chômage (20%) est le double de celui de la France. Les jeunes sans emploi forment ¼ de la population masculine des 20-14 ans de ces cités, 34% chez les jeunes femmes, (25,3% pour la France entière). L’évocation du chômage et du manque d’argent apparaissent comme la préoccupation première dans nombre d’enquêtes : ainsi François et Ali, jeunes gens d’une banlieue du nord de la France, La Roseraie, affirment-ils : « on n’a pas de boulot, même dans notre quartier, on n’a rien ». Le chômage apparaît clairement comme un facteur déstructurant, qui touche l’ensemble du pays mais s’avère plus concentré dans certains espaces urbains, anciennes banlieues industrielles ou quartiers dortoirs qui n’ont jamais connu d’activité productive.

La révolte d’une classe d’âge ?
S’ajoutent à ces difficultés économiques générales des phénomènes sociaux tout aussi fréquents : ainsi a-t-on pu parler de l’émergence d’une contre société, de la révolte de toute une classe d’âge adolescente, fondée sur des gestes, codes, rituels et appropriations de l’espace tout à fait spécifiques.

Vers des phénomènes de communautarisation ?
Si la communautarisation de la société française apparaît indéniable, son rôle dans les violences urbaines est en revanche plus difficilement identifiable : elle peut être conçue comme intégratrice - notamment dans le cas de l’accueil par les précédents arrivés de nouveaux immigrés - ou comme facteur de violence. De fait, la rencontre de populations homogènes socialement mais qui refusent de mêler leur identité peut être à la source de malaises visibles, à l’échelle de la ville :
Dans certains quartiers, les habitants les plus enracinés tentent de poursuivre une trajectoire qui leur permettra une promotion sociale voire l’investissement dans un logement extérieur. La proximité de groupes marginalisés et plus récemment installés ne leur apparaît pas comme une gêne mais comme une menace individuelle et collective, identitaire et statutaire. Ainsi une mère de famille affirme-t-elle dans La Misère du Monde : « Rien ne va. On ne peut pas s’entendre. On n’a pas les mêmes goûts, les mêmes habitudes. Alors on ne peut pas être d’accord, on n’est d’accord sur rien ». Des frontières réelles ou imaginaires s’instaurent progressivement. Sans en arriver aux conflits observés aux États-Unis dans les années 1970 entre petits Blancs et Noirs ou Hispaniques, cette incompréhension à grande échelle peut amener à une indifférence aux dégradations commises aux alentours voire à un climat de violence larvée. Là encore le modèle américain est ambigu : il ne peut être que très imparfaitement appliqué au cas français, d’où un maniement délicat de cette idée.

Parallèlement, la rencontre de populations très hétérogènes socialement dans les lieux de passage de la ville de plus en plus nombreux peut également exacerber les oppositions en matière de genre de vie, sensibiliser aux écarts à la norme, alimenter le sentiment d’insécurité. C’est fréquemment le cas dans les centres de loisirs ou centres commerciaux urbains, fréquentés massivement par toute la population urbaine, avec des rencontres parfois violentes. "Les Quatre temps" à La Défense où se croisent les consommateurs aisés du sud-ouest de Paris et ceux plus populaires du nord des Hauts-de-Seine sont le lieux de fréquents affrontements (cf juin 2001) qui ont amené le centre commercial à fermer la patinoire, tant les incidents y étaient fréquents. Là encore, c’est plus la confrontation d’individus ou de groupes aux profils sociaux différenciés que d’espaces à proprement parler qui est à prendre en compte.

3) Des formes de violences urbaines plus diffuses : centres commerciaux et transports en communs

Deux exemples ici pour mettre en évidence la spatialisation de cette deuxième forme de violences urbaines :

a) Lyon Part-Dieu : la convergence de groupes extérieurs au centre de la ville

Le 31 janvier 1998, jour de la fin du ramadan, Aid el Fitr, deux groupes de jeunes commencent à jeter des pétards, provoquer des commerçants pour finir par briser la vitre d’un mac Do et débuter une émeute. Vite maîtrisé, ce mouvement illustre l’appropriation d’un lieu de convergence de la ville par des jeunes comme espace de jeu, de défoulement dans un lieu où la police n’intervient pas.
L’incident sera diversement analysé : entre un discours alarmiste tenu par le directeur du centre (un complot de l’ensemble des banlieues comme Vaulx-en-Velin, planifié de longue date) et un discours bienveillant (les jeunes, bien habillés pour la fête de la fin du ramadan et venus dépenser l’argent offert par leurs parents à cette occasion, confrontés aux provocations des CRS appelés en renfort pour l’occasion et à l’incompréhension des autres habitants), les chercheurs analysent l’incident comme la résultante de la polarisation entre un centre ville vers lequel se sont dirigés tous les investissements et une périphérie est dans laquelle se sont accumulées les difficultés.

b) Les transports en commun

Les transports en commun sont aussi la cible de la violence urbaine. En 1997 près de 2 400 délits ont été signalés par la RATP dont 925 agressions d’agents. À Aulnay-sous-Bois, c’est en général à l’heure du déjeuner, durant laquelle les jeunes rentrent chez eux, que les incidents se multiplient à l’égard des machinistes. Les jeunes de la cité Emmaüs et ceux de la Rose-des-Vents se croisent entre le collège Gérard-Philipe et le collège Victor-Hugo. L’exiguité des autobus, le désir de resquiller, l’attente en masse et la densité créent les conditions d’une surexcitation susceptible de dégénérer : un machiniste de la ligne a été blessé pour avoir signalé la présence d’un pitbull, une autre prise en otage pour transporter des scooters volés, une autre contrainte à poursuivre sa route pendant un règlement de compte. Ces incidents, rares, suffisent à créer un climat très tendu.

III Typologie : des espaces de la violence urbaine

Il s’agit ici d’esquisser une typologie des espaces urbains frappés par la violence urbaine, en ce qu’ils sont des espaces de ségrégation ou non, et de espaces de violence ou non. Ce qui revient à définir deux formes de violence urbaine, l’une spécifiquement assimilable aux lieux ségrégés, l’autre se faisant le relais dans tout l’organisme urbain de cette ségrégation ainsi que de problèmes plus larges.

1) les quartiers fortement ségrégés où les difficultés socio-économiques expliquent des violences localisées dans l’espace concerné

- les quartiers ouvriers en centre ville
- les « grands ensembles »

2) Les quartiers peu touchés par les violences urbaines

- les quartiers ségrégés « résidentiels » : peu de violences urbaines telles qu’elles ont été définies plus haut, surtout des formes de délinquance
- les quartiers de mixité résidentielle bien vécue

3) Les espaces de passage de la ville : quartiers de confrontation en miniature des ségrégations plus générales et de différences socio-économico-culturelles : des violences urbaines également

- les centres commerciaux et rues commerçantes: Part-Dieu, La Défense, les Halles, mais aussi les Champs-Elysées, la rue de la République
- les espaces de loisirs communs à toute la ville

Conclusion


Si l’éclatement de la ville, les processus ségrégatifs sont lisibles dans les villes françaises, leur lien avec les violences urbaines, pour être immanquablement évoqué, n’est pas facilement quantifiable à l’heure actuelle. Comme le rappelle André Dauphiné dans son ouvrage Risques et Catastrophes : « Les violences urbaines sont encore mal expliquées. Toutes les études montrent qu’elles ne sont pas directement liées à la qualité architecturale des grands ensembles. Et si plus de 60% des Français rendent le chômage responsable, les analyses sérieuses contredisent l’existence de ce lien. En France, la délinquance augmente à partir de 1964, au cœur des Trente Glorieuses. »
Autrement dit, le rapport entre pauvreté, ségrégation et violences apparaît extrêmement complexe, réclamant à ce titre un souci de la nuance tout spécifique, pourtant inversement négligé par les discours politiques. « L’insécurité » constitue en effet le thème privilégié de nombre de politiques qui opèrent les grossissements les plus hâtifs sur le sujet, au mépris de la réalité spatiale urbaine française.

Bibliographie :

Body Gendrot S., Villes et violence
Body Gendrot S., Les villes face à l’insécurité
Boyer, J, Les Banlieues, Armand Colin
Brun J et Rhein C. (dir), La Ségrégation dans la Ville 
Penven A., Territoires rebelles, intégration et ségrégation dans l’agglomération rennaise, Economica, 1998, 254p
Atlas de France, tome Villes
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MessageSujet: Re: Pauvreté, ségrégation, violences urbaines   Pauvreté, ségrégation, violences urbaines Icon_minitimeDim 6 Mar - 23:25

great !
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Thibault Renard

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MessageSujet: Re: Pauvreté, ségrégation, violences urbaines   Pauvreté, ségrégation, violences urbaines Icon_minitimeLun 7 Mar - 23:00

Les chiffres commencent à vieillir...
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MessageSujet: Re: Pauvreté, ségrégation, violences urbaines   Pauvreté, ségrégation, violences urbaines Icon_minitimeMar 8 Mar - 11:38

Géographie et psychologie des bas quartiers en d'autres termes. Bien j'ai une question Thibault : quelles sont alors les solutions pour palier à ce problème ?
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Anne

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Friedrich Ratzel
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MessageSujet: Re: Pauvreté, ségrégation, violences urbaines   Pauvreté, ségrégation, violences urbaines Icon_minitimeMar 8 Mar - 17:02

papus a écrit:
Géographie et psychologie des bas quartiers en d'autres termes. Bien j'ai une question Thibault : quelles sont alors les solutions pour palier à ce problème ?

Je trouve ça un peu réducteur de parler de "bas quartiers".
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Thibault Renard

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MessageSujet: Re: Pauvreté, ségrégation, violences urbaines   Pauvreté, ségrégation, violences urbaines Icon_minitimeMar 8 Mar - 22:12

Je suis géographe, pas politique. Après j'ai bien des idées mais on sort du cadre de mes compétences.
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MessageSujet: Re: Pauvreté, ségrégation, violences urbaines   Pauvreté, ségrégation, violences urbaines Icon_minitimeMer 9 Mar - 10:41

D'accord M.Thibault. Mais est-ce à dire que le géographe n'est qu'un simple observateur? j'aurais bien voulu que vous nous fassiez part de vos hypotèses en ce qui concerne les causes et nous donner aussi un aperçu des solutions que vous avez. Mlle Anne je m'excuse pour cet abus de langage.
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MessageSujet: Re: Pauvreté, ségrégation, violences urbaines   Pauvreté, ségrégation, violences urbaines Icon_minitime

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