En tant qu'étudiant en architecture, j'ai eu l'occasion de partir cinq semaines en Syrie, vers avril 2008.
Nous étions une trentaine d'étudiants et notre travail était dans un premier temps de remettre à jour les cartes et cadastres municipaux de Damas, qui n'avaient pas été retouchés depuis les années 1970.
Nous nous inscrivions dans une série de projets similaires ; un groupe par année partait, encadré toujours par les mêmes professeurs ( d'excellents urbanistes de notre école, l'ENSAV, de Versailles ), pour travailler sur une ville différente de la banlieue de Damas.
Notre groupe a travaillé sur Daraya-Charkieh - l'orthographe n'est pas nécessairement exacte, je m'en excuse - pendant plusieurs semaines.
Il faut savoir que la banlieue de Damas occupe la Ghouta, une oasis qui est issue ( de ce que j'ai retenu ) d'un fleuve descendant des monts Liban pour disparaître dans le désert. Cette vaste zone de verdure a très vite été irriguée et cultivée, notamment par les romains qui ont mis en place tout un réseau de canaux. La richesse de Damas vient en partie des nombreuses récoltes qu'elle peut tirer de ces champs en plein désert.
Les conclusions de notre mise à jour des cartes sont assez pessimistes ; malgré l'interdiction de construire, chaque héritage, chaque vente de parcelle, chaque subdivision est l'occasion d'ajouter une maison, le plus souvent construite en parpaings ( fabriqués sur place dans des moules rudimentaires ). Ainsi la zone se densifie de façon anarchique et à ce rythme, la Ghouta aura cessé d'exister ( dans le secteur de Daraya en tout cas, mais rien ne nous empêche de penser qu'il en va de même sur les autres communes ) d'ici 30 ans. Parallèlement, les réseaux d'irrigation ne sont pas entretenus et se bouchent ( les ordures et les animaux morts sont régulièrement mis en cause ), ce qui oblige les paysans à creuser des puits et à installer des pompes électriques là où 10 ans auparavant, l'eau arrivait d'elle-même. Les cultures ( maraîchage, menthe, vergers fruitiers, eucalyptus et oliviers ) et les élevages ( chèvres, moutons et vaches ) en pâtissent.
La seconde étape de notre projet était de proposer des solutions d'aménagement du territoire pour juguler le développement de la ville, le canaliser vers une densification réfléchie, avec une mixité ville-campagne. Notre projet incluait une ceinture verte, un réseau de parcs urbains et une réflexion sur les formes traditionnelles de logement syrien, étendu au contexte de ville moderne.
La traversée de la Ghouta à pied avec ses nombreux artisans du bois, ses cultures de menthe et ses eucalyptus embaumant sous le soleil, ainsi que les voyages que nous avons pu faire à travers le pays, restent parmi mes plus beaux souvenirs, et deviennent d'autant plus précieux à la lueur des évènements actuels.