Je me lance aussi : j'ai pris cette photo en Juillet 2010 aux alentours de la Baie Saint-Paul, sur la rive gauche du Saint-Laurent, au Canada... mais surtout au Québec, comme on va le voir.
Au premier plan, la route en mauvais état nous rappelle, jusqu'au coeur de l'été, que la région connaît des
hivers d'autant plus rigoureux que le courant atlantique froid venu des mers arctiques remonte dans l'estuaire laurentien. La gélifraction abîme ainsi chaque hiver les routes, que les ouvriers des travaux publics n'ont jamais fini de remettre en état.
A l'arrière-plan, on remarque d'abord que le village s'organise le long de la route. Classique mais... il y a plus à voir !
De chaque côté, les haies et les hangars délimitent des parcelles allongées perpendiculaires à la route (c'est plus net sur la droite de la photo). Ce type de structure s'appelle un
rang, et indique à coup sûr qu'on se trouve au Québec.
C'est la trace multiséculaire de la colonisation française, qui avançait des rives du Saint-Laurent vers l'intérieur des terres en découpant des seigneuries rectangulaires, dont la colonne vertébrale était une route le long duquel s'installaient des colons qui recevaient une concession étroite, allant de la route au bord de la seigneurie.
Une bonne image vaut mieux qu'un long discours : allez voir sur Google Maps autour de Rimouski pour apprécier l'ampleur du phénomène.
Mais au fait, pourquoi serait-ce spécifiquement québecois et pas simplement canadien ? C'est que les Anglais ne gèrent pas du tout leur cadastre comme les Français. Dans les régions qu'ils ont colonisé, ils ont préféré au système du rang celui du canton carré, le fameux
township rendu célèbre par l'apartheid sud-africain.
Le mot de la fin revient à Philippe Pinchemel dans
La Terre écrite (2001) : par ici la sortie.